accueil BIODANZA > textes > Edgar Morin le 16 juillet 2011
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12-15 juillet 2011

1er Congrès Européen d'Éducation Biocentrique
15-17 juillet 2011
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conférence d'Edgar MORIN
Qu’est-ce que la connaissance ? Qu’est-ce qu’être humain ?

Ça veut dire que même dans la perception la plus élémentaire, il y a une traduction : les stimuli qui arrivent à mes yeux sont traduits en un code binaire que transmet le nerf optique ; puis ont lieu des transformations immédiates et très complexes du cerveau, et on a ce qu’on appelle une perception.
Si on parle des mots, on observe que les mots sont des traductions de perception, et des reconstructions, des théories qui sont des traductions à partir des ? de reconstruction. Autrement dit la connaissance ne peut pas échapper à l’interprétation, à la traduction et à la reconstruction. Il y a un toujours un risque d’erreur dans la traduction : les traducteurs sont des traîtres, disent les italiens. C’est très difficile par exemple de traduire une poésie.
 
La théorie de l’information élaborée par Shannon et Weber dans les années 40 nous enseigne autre chose. L’information suppose un émetteur et un récepteur et entre les deux un canal : le téléphone, l’atmosphère, l’air...  Ici le canal est l’air par lequel je vous transmets mes paroles. Cette théorie suppose deux choses : d’abord que l’émetteur et le récepteur ont le même langage, le même code. Si je parle en français à un chinois, il ne me comprendra pas. Supposons donc qu’émetteur et récepteur ont le même code ; ensuite, dans le canal il y a ce que la théorie appelle « noise » en anglais, donc le bruit : quand vous donnez un numéro par téléphone, vous répétez les chiffres pour qu’il n’y ait pas d’erreurs ; quand vous êtes en cercle et que vous jouez à vous « murmurer » un mot dans l’oreille à chacun, quand le mot a fait le tour du cercle, il est déformé.
Le risque permanent est donc la déformation de l’information, la déformation de la connaissance. La connaissance est une aventure très dangereuse.
Si vous n’enseignez pas cela dès l’enfance, les gens vont être sûrs de ce qu’ils disent, sûrs de leur mémoire, sûrs de leur perception. L’expérience prouve que quand il y a différents témoins d’un même événement, les témoignages sont différents les uns des autres parce que chacun  ( ? : a sa perception). Il y a un livre les témoignages d’un Anglais qui s’appelle Norton : il a recueilli des témoignages de combattants de la guerre de 14-18 ; selon le lieu, la nationalité, le témoignage du même événement est tout à fait différent. Un autre exemple personnel : j’étais à un carrefour où il y avait des sémaphores rouge d’un côté et vert dans l’autre rue ; à ce moment je vois au croisement une voiture qui renverse un cycliste, je me précipite pour ramasser  le cycliste et pour gronder le conducteur mais il me dit : moi je suis passé au vert et le cycliste est passé au rouge. Ainsi, contrairement à ma perception (le « gros » a renversé le « petit »), c’était le petit qui s’était précipité sur le gros. Donc l’erreur est permanente, c’est pourquoi il faut enseigner le risque de l’erreur. C’est une question fondamentale.
 
Une deuxième chose qui concerne la connaissance, est qu’il ne suffit pas de décrire un événement pour le comprendre, il faut le mettre dans son contexte.
Si vous considérez un événement inattendu, comme la révolte en Tunisie ou en Égypte, alors que tout semblait stabilisé on est surpris. On essaye de contextualiser, de comprendre avec la situation sociale, politique, historique etc... Tout doit être contextualisé.
Si par exemple la personne que vous aimez vous dit : « Tu viens chéri », c’est une invitation très tendre. Mais si c’est une prostituée dans la rue qui vous dit : « Tu viens, chéri », c’est plutôt une demande mercantile qui n’a pas le même sens.
Or malheureusement, on nous enseigne à isoler les objets de connaissance mais on ne nous enseigne jamais à contextualiser. Comment inscrire dans le contexte, je pense que c’est quelque chose de fondamental. Une connaissance pertinente n’est pas une connaissance qui isole, c’est une connaissance qui relie. Donc tout ceci doit se faire dès les petites classes.
La question est aussi de connaître les limites de l’esprit humain, les limites de la raison humaine. Damasio et Jean-Didier Vincent qui ont étudié le cerveau  ont montré qu’une raison pure sans émotions, ça n’existe pas. Même le mathématicien a la passion des mathématiques, il y a toujours un centre émotionnel qui est mis en mouvement quand on met en mouvement une activité rationnelle.

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